Extraits


J’ai trouvé un gentil petit homme, il y a vingt ans.
Un petit homme aimant, un petit homme clair, confiant, constant. Je l’ai épousé.
Il m’a donné des enfants, trois, et un toit et une pelouse verte, et des vacances, et des amis, des occupations, et de l’argent, de l’argent tous les mois.
Une vie commune. Un petit homme infaillible. Fiable.
Pause.
J’ai fait des compromis. Une femme intelligente ne peut pas avoir tout ce qu’elle veut.
Pause.
C’était du second choix. Le premier choix était un mauvais choix. Sur le moment tu te décourages puis quelques temps après tu appelles cela de l’expérience. C’est presque enrichissant. D’avoir à faire un second choix.
Pause. J’ai choisi quelqu’un de gentil que je pensais pouvoir tenir et maîtriser en douceur. Je me suis assurée qu’il était vraiment gentil. Il l’est. Je l’ai été aussi.
Pause.
Il est difficile de se plaindre lorsqu’on n’a rien à reprocher, à personne. Je n’ai rien à redire à ma vie. Elle est organisée. J’y occupe ma place.
Pause.
J’ai été à la hauteur, à la hauteur des trois enfants, du toit, de la pelouse verte, des amis, des occupations. Oui.
Pause.
Que sait-on du couple ? Rien du tout.  Qu’il faut en avoir un, en former un. En être. C’est agréable. Mais c’est quoi ? Eh bien, coopérer avec quelqu’un qui vous donne un sentiment de sécurité. Et à qui vous donnez un sentiment de sécurité. Une maison, un travail, de l’argent, des enfants. L’amour, le désir immuable, inusable, la confiance, la connaissance. Une assurance vie, un oreiller, des bras, un refuge contre les agissements des autres. Contre le cancer, la vieillesse, l’abandon aussi.
C’est fait pour marcher le plus longtemps possible. Parfois non. Alors on appelle également cela « expérience ». Quel que soit le nombre de choix.


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Bertrand, prenant Olivia à part : Tu le dragues ou quoi ? Pourquoi  tu lui parles comme ça ? 
Olivia : A qui  je  parle, comme ça    ?         
Bertrand : A lui, là.
Romaric : On pourrait fumer.
Clarisse : Ce soir, je ne fume pas.    
Olivia : Mais mon amour, je parle comme je veux à cet homme.  Je lui parle bien.
Bertrand : Non, tu fais pas comme tu veux. Non, tu sais pas. Tu fais pas. Tu te tais, ma chérie. Tu ignores tout. Tu te comportes pas bien. Je vois. Tu te tais. Je t’aime.  Tu le sais. Tu te tais.
Olivia : Il est un peu original. On a un voisin original, c’est amusant. On pourrait parler d’opéra, pour changer ! Il aime l’opéra, tu sais. Moi aussi j’aime beaucoup ça, avoir des amis qui aiment l’opéra.
Clarisse à Olivia : J’apprécie les hommes qui ont une grande culture générale.
Romaric : Je fume trop, je m’embue.           
Bertrand : Oh mon dieu, un intellectuel.  Tu te tais, là. Tu te comportes mal. J’aime pas ça. Tu sais pas te tenir. Vas voir, en cuisine, putain, tu rapportes des cocktails. Tu te tais, ma chérie, tu es incroyable. C’est incroyable. 
Olivia : Mon pauvre amour, je t’ai gêné ? Oui, tu es gêné. Tu es gêné de quoi ? Tu es gêné de moi ? Je suis ta femme. Je suis ta petite femme. Tu trembles. Tu es gêné. Il ne faut pas. Il ne faut pas avoir honte. C’est une belle soirée. Tu ne t’énerves pas ? Tu respires ? Tout va bien ? Je suis là.
Bertrand : Je vais te baffer, je vais te baffer, je vais te baffer.
Olivia : Tu te répètes. Tu as trop bu ? Tu as trop bu, non ? Tu veux une infusion de thym ? Un peu de thym ? Pour absorber, pour absorber le trop-plein. Ou un peu de chlorate.
Bertrand : Ta gueule.  
Olivia : Si je me tais, tu te sentiras un peu mieux dans ta peau ? Est-ce que tu te sentiras alors mieux dans ta peau ?
Bertrand : Oui. Je respire déjà mieux.        
Clarisse riant : Je ne fume pas mais je baise. Et vous ?     
Romaric riant : Très souvent, et vous ?
Olivia : C’est bien, mon amour. Tu m’aimes ? Dis, tu m’aimes ?
Bertrand : Oui je t’aime. Bien sûr que oui.
Olivia : Je suis contente, je suis bien contente. Elle sort avec le saladier de cocktail.
Bertrand : Tu es la mère de mes gosses.
Romaric, à Bertrand : Vous avez de la chance d’être un couple si soudé.           
Bertrand : C’est précisément ce que j’étais en train de lui dire. C’est précisément ce que j’aimerais qu’elle comprenne.

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Clarisse: A notre époque de vitesse, d’exigence, de psychologie, si immédiate et si urgente, il est impossible de connaître vraiment quelqu’un ou de se connaître réellement soi-même. On doit agir en aveugle. Et vite. J’ai très peur que soudain tous les autres soient très mariés et très heureux, et de me retrouver très seule et très amère de devoir faire face au monde en célibataire. Je serai un danger puis de menace, je deviendrai la risée, la vieille fille, la coincée ou la féministe. C’est la process’com, ce sont les cases, ce sont les absurdités modernes qui te font bouffer ta tartine molle et insipide, toute seule, ou presque, tous les matins, dans la cuisine, avant de sortir faire des sourires si charmants au monde pour le conquérir.  
Et pourtant je ne me facilite pas la tâche. Je suis d’une intransigeance rare. On me l’a dit. Combien de fois ? Je préfère tout avoir plutôt que rien. Et si ce n’est qu’une partie, alors je ne prends rien du tout.
Je marche sur des fils que je tends vers un homme, vers vous. Je joue, je risque, je perds, tout le temps, mais je vais gagner, beaucoup. Les regrets ne servent à rien. Je suis très énergique.


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Clarisse, après un long silence : Dans les temps anciens, il y avait des ânes que la rencontre d'un ange faisait parler.
Romaric, subitement : Pardon. Ca me fait quelque chose. De vous revoir ainsi.  De vous voir danser. De vous voir assise.
Clarisse : Tout chose.
Romaric : De te voir. Oui.
Pause.
Clarisse : L’amour, c’est comme une cigarette.
Romaric : Ah bon ?
Clarisse : Ca coûte.
Romaric : Moi je t’offrirai des perles de pluie,
venues de pays où il ne pleut pas.
Clarisse : Je ne porte pas de bijou.
Romaric : Je n’ai pas les moyens de t’en offrir.
Clarisse : Tant mieux. Tu pourras au moins me payer un verre.
Romaric : Te souvient-il de notre histoire ?
Moi, j'en ai gardé la mémoire : C'était, je crois, l'été dernier.
Clarisse : Je ne sais pas. On vient à peine de se rencontrer.
Romaric : Te souviens-tu de notre extase ancienne ?
Clarisse : Pourquoi veux-tu donc qu’il m’en souvienne ?
Romaric : Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ?
Clarisse : Non. Pause. Je ne suis pas Céline.
Romaric : Je sais. Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime…
Clarisse : Elle me ressemble ?
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Olivia : Je pense qu’il est temps que je me ressaisisse. Je ne sais pas s’il est encore temps.
J’ai regardé les évènements se mettre en place. Je les ai organisé. Je m’y retrouve.
Je suis devenue une jeune épouse au foyer de classe moyenne éduquée. Personne ne m’a prévenue. Je me suis laissée allée. Personne ne m’a prévenue.
Je ne veux plus qu’on décide du moindre détail de ma vie. Je refuse de me laisser submerger par les habitudes des autres. C’est épuisant de vivre à travers eux. Je suis certaine que ça les épuise aussi. Ils ne me l’ont jamais dit. Je ne sais pas s’il est encore temps. J’ai un emploi du temps à respecter. Et je n’aime pas la solitude. On y réfléchit trop. Pour ce soir, je vais rentrer, je suis attendue.
Pause.
J’ai le droit de vouloir dormir dans mon lit, de manger dans ma cuisine, de lire dans mon salon dans mon canapé.
Pause.
J’ai le droit d’être en couple, sans être aimée, ni aimer tout le temps, à tout bout de champ. J’ai le droit, je n’arrive pas à être seule, à faire tout ça seule, à être avec moi, seule. Pour ce soir.
Pause. Je préfère être à ses côtés, je dors mieux.
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Olivia : On ne peut plus continuer ainsi.
Romaric : Ce n’est pas grave, on va changer de frigo.
Olivia : Non, on va tout changer. Je ne t’aime plus.
Romaric : Tu ne dis pas ce que tu penses, tu es fatiguée.
Olivia : Je ne suis même pas fatiguée.
Romaric : Je vais t’aider.
Olivia : Je ne veux pas de nouveau frigo, pas ici. Je ne veux plus voir ta tête. Je ne veux plus la voir dépasser du canapé. Je ne veux plus. Je laisse tout là. Tu voudras bien ranger, dis ?
Pause.
Merci.